Interview (actualisé) de Robert Le Vourc’h

Interview (actualisé) de Robert Le Vourc’h Shihan, Professeur diplômé d’état 2e degré, chargé d’enseignement national pour la FFAB. Par François Frey pour Dragon Magazine.

Interview (actualisé) de Robert Le Vourc’h Shihan, Professeur diplômé d’état 2e degré, chargé d’enseignement national pour la FFAB. Par François Frey pour Dragon Magazine.

Robert Le Vourc’h pratique l’Aïkido depuis 46 ans, il est aujourd’hui 7e dan CSDGE, 6e dan Aïkikaï. Professeur diplômé d’état 2e degré, élève de Maître Tamura, il accorde une grande importance au travail aux armes.

François Frey l’a rencontré pour Dragon Magazine.

 

Dragon Magazine : Quand avez-vous commencé l’aïkido ?

Robert Le Vourc’h : J’ai débuté en 1976, à l’âge de 16 ans au dojo de Lesneven. Au départ, c’était pour pratiquer quelque chose de différent du judo, différent car non compétitif. Cela me parraissait intéressant, séduisant, attractif… pas philosophique mais avec cette part de réflexion qui me semble indispensable pour la pratique d’un art martial.

Quand on a 16 ans, on a bien sûr d’autres centres d’intérêt mais finalement j’ai accroché.

D.M. : Qui était votre professeur à l’époque ?

 Il y avait Jean-Claude Cueff et Jean-Yves, mon frère. Tous deux d’excellents professeurs qui ont su me guider sur la voie.

D.M. : Que vous ont-ils apporté dans leur enseignement ?

 Ils m’ont donné le goût de l’effort, de partager et d’enseigner. Oui, j’ai beaucoup aimé chuter et subir les techniques de leur part. Après cela m’a semblé une évidence de continuer et de chercher à grandir et de m’épanouir dans la pratique de cet art.

D.M. : Si vous deviez définir l’aïkido ?

 L’aïkido ne devrait se traduire qu’avec des mots simples.

Pour autant, ce serait trop simple de dire que c’est un art de vivre, trop simple de dire que c’est ma vie mais… c’est un peu tout cela pourtant.

En ce qui me concerne, l’aïkido est un moyen d’expression de soi de son corps, de ses idées. Cela apporte le contrôle de ses émotions et la confiance en soi. Cela permet de connaître sa place, de savoir la tenir.

C’est aussi d’innombrables et belles rencontres partout dans le monde. C’est du temps passé avec les copains, à partager sur et en dehors du tatami, à mener la même quête, la même recherche. C’est de la sueur et de la fatigue, souvent, de la frustration, quelques fois, et du bonheur tout le temps. 

Pour moi cela a été vraiment moteur.

D.M. : Que vous a transmis votre frère Jean-Yves, sur quoi a-t-il insisté ?

 En fait, nous avons pratiqué et étudié ensemble l’aïkido. Il était mon ainé de 10 ans. Il m’a transmis son sens de la recherche, et l’importance du doute. Il m’a appris que le doute est porteur et que les certitudes sclérosent la recherche. Tant que l’on doute, l’on est sur la bonne voie pour progresser. J’ai gardé cela et je pense, j’en suis sûr, que c’est toujours vrai.

D.M. : Aujourd’hui, c’est à votre tour d’enseigner, vous êtes un professeur reconnu, aimé, que désirez-vous transmettre ?

 Essayons de travailler avec sincérité en mettant en place des situations justes pour pouvoir garder l’esprit originel des arts martiaux.

Ne pas faire uniquement que de la forme, mettre de la sincérité dans l’effort que l’on fournit, de la sincérité dans le résultat que l’on veut obtenir, dans l’analyse de ce que l’on a réalisé. C’est quelque chose de forcément personnel qui doit rejaillir positivement sur les autres.

C’est dur d’expliquer par les mots mais je pense que le sens de l’aïkido c’est aussi, peut-être, donner un sens à notre vie, comment se situer dans la société, vis à vis des autres.

Savoir donner, être généreux mais aussi ferme, savoir tenir ses positions.

D.M. : Quand avez-vous rencontré Maître Tamura ?

 La première fois, c’était en 1977 lors d’un stage à Brest. Un petit homme qui partageait le même vestiaire que nous… J’étais vraiment impressionné car il se comportait comme tout le monde. Il m’a laissé ce jour-là une impression indélébile, fantastique.

Lors de ce stage, j’ai eu la chance qu’il vienne vers moi et corriger ma façon de faire Nikkyo. Au départ, je pensais qu’il allait me broyer le bras mais en fait, je n’ai rien senti si ce n’est que la Terre est venue plus vite sur mon nez que j’aurai pu l’imaginer.

A partir de cette date-là, j’ai commencé à sentir qu’il y avait autre chose dans l’aïkido. Sensei, avec son petit gabarit mais une telle puissance, alliée à une si grande gentillesse est devenu une référence pour moi, La Référence. J’ai alors pensé : avec sa corpulence, il ne peut pas tricher, il ne peut pas utiliser sa force. Et cela m’a profondément motivé.

Je n’ai jamais arrêté depuis et, avec les copains, j’ai eu la chance de partager son enseignement pendant plus d’une trentaine d’années.

Quand je revois toutes ces années, cela a été vraiment magique : du bonheur à chaque stage. On revenait fatigué, un peu frustré de ne pas avoir pu réaliser ou vraiment compris ce qu’il nous transmettait mais quel bonheur d’avoir vécu cela.

D.M. Aujourd’hui que vous apporte vos élèves en tant qu’enseignant ?

 Ce qu’ils m’apportent ?

Que je ne sais pas tout. Ils sont mon moteur, ce sont eux qui me font travailler et progresser. Nous sommes tous dans le même bateau, je suis un peu plus avancé mais c’est ensemble que nous que nous devons rechercher. Dans mon dojo, la règle est que l’on doit sortir meilleur que lorsque l’on est entré… peut-être qu’un petit peu, mais toujours meilleur.

D.M. : Quelle place doit-on apporter aux armes dans la pratique ?

 Pour moi, le travail aux armes est primordial, je ne conçois pas un cours d’aïkido sans les armes. D’ailleurs si on fait de l’aïkido, on fait des armes et, de la façon dont on pratique les armes on fait de l’aïkido.

Les armes permettent d’étudier le ma-aï, le temps, le placement, l’harmonie avec l’autre. C’est essentiel afin de bien s’y attacher et de faire le lien avec le au travail à mains nues.

Le sabre en particulier est notre référence. Il définit notre placement et des notions aussi complexe que Kamae, Ma-aï, Shisei… C’est l’âme de l’aïkido.

D.M. : L’apprentissage s’effectue par l’étude des techniques, comment les définiriez-vous ?

 La technique est pour moi un outil qui va façonner, modeler le corps mais ce qui est important, c’est le principe que l’on met en place, sur le quel on travaille, comme par exemple le Shisei (l’attitude, la posture).

La technique ne constitue pas une fin en soi mais elle permet d’acquérir et de travailler toutes les fondations de l’aïkido. Quand on arrive vers les hauts grades, 5e dan et plus, il faut savoir sortir de la technique et trouver l’expression de sa pratique personnelle.

D.M. : Quels conseils pourriez-vous donner à un jeune pratiquant ?

 Je dis souvent qu’on ne doit pas pratiquer avec sa tête et qu’il faut laisser le corps apprendre par lui-même les mouvements. Un peu comme on apprend le vélo, c’est très dur d’expliquer comment faire : on peut faire des schémas, calculer les forces centripètes, centrifuges… mais le meilleur moyen reste de prendre le vélo et d’en faire.

Il faut être patient, travailler, laisser le corps assimiler les techniques. Le travail de réflexion viendra de lui-même par la suite.

D.M. : Quelle signification donnez vous aux grades en aïkido ?

 C’est comme la cave à vin : J’ai ai une, mais elle est bien cachée. Pour la voir, il faut venir chez moi, et que je vous invite à la voir. C’est personnel. Si le sujet est abordé, alors je peux en parler et même la montrer.

Aujourd’hui je suis 7e dan, j’en suis très content bien sûr car c’est le résultat de mon travail mais je sais qu’il me reste encore beaucoup à faire.

Pour les autres, je n’ai pas de leçons à donner de ce côté-là mais je crois qu’il est trop facile de dire que, lorsque les grades ont été obtenus, ce n’est finalement pas important.

Le seul conseil que je pourrais donner c’est qu’il faut continuer et bien penser que c’est par rapport à soi que l’on mesure les efforts et non par rapport aux autres.

En tous cas les grades ne devraient pas changer les rapports entre les gens. Il ne faut pas refuser de les passer sous le prétexte de convictions qui pourraient être discutables mais au contraire le faire comme un passage obligé pour soi. Il faut voir les grades comme une remise en question et un moyen de juger, d’évaluer, son évolution sur le long chemin de la pratique.

D.M. : Qu’aimeriez vous dire aux pratiquant plus avancés.

 Que ce n’est jamais fini, qu’il faut continuer à travailler. La seule limite que l’on a est celle que l’on se fixe soi-même. Si l’on veut progresser, aller plus loin, il faut rester persuadé que l’on peut le faire et cela passe forcément et toujours par la pratique régulière.

D.M. : Pour finir, d’après vous quel est le message qu’à voulu nous laisser O’Sensei avec l’aïkido ?

 La question est difficile (rires).

J’ai vu au dojo de Yamada Sensei, sur un pylône en bois une inscription en Japonais et en Anglais : « May peace prevail on Earth », que la paix règne sur la terre.

Pour moi le message de O’Sensei est très humaniste, plein d’espoir.

L’aïkido est un art martial fabuleux mais paradoxal. A la base, les arts martiaux sont faits pour tuer. Mais l’aïkido doit nous apporter la paix. Si je dois retenir quelque chose pour moi, ce serait probablement cela : « Que la paix règne sur la terre ».